La destination du prince n'est pas de veiller à notre bonheur

Et surtout, vous tous qui vous en sentez la force, déclarez la guerre la plus implacable à ce premier préjugé d'où dérivent tous nos maux, à ce fléau qui cause toute notre misère, à cette maxime enfin que la destination du prince est de veiller à notre bonheur. Poursuivez-la, à travers tout le système de notre savoir, dans tous les recoins où elle se cache, jusqu'à ce qu'elle ait disparu de la terre et qu'elle soit retournée dans l'enfer d'où elle est sortie. Nous ne savons pas ce qui peut assurer notre bonheur : si le prince le sait, et s'il est là pour nous y conduire, nous devons suivre notre guide les yeux fermés. Aussi fait-il de nous ce qu'il veut, et, quand nous l'interrogeons, il nous donne sur sa parole que ce qu'il fait est nécessaire à notre bonheur. Il passe une corde au cou de l'humanité et s'écrie « Allons, tais-toi, tout cela est pour ton bien. »

Non, prince, tu n'es pas notre Dieu. De lui nous attendons le bonheur ; de toi, la protection de nos droits. Tu ne dois pas être bon envers nous ; tu dois être juste.

Johann Gottlieb Fichte (1762-1814), De la revendication de la liberté de penser