Pariez que Dieu est

Pariez que Dieu est (extrait court)

Il faut parier ; cela n'est pas volontaire ; vous êtes embarqué ; et ne parier point que Dieu est, c'est parier qu'il n'est pas. Lequel prendrez vous donc ? Pesons le gain et la perte en prenant le parti de croire que Dieu est. Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Pariez donc qu'il est sans hésiter. [...]

Quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti ? Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, sincère, véritable. A la vérité vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices. Mais n'en aurez vous point d'autre ? Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie ; et qu'à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude du gain, et tant de néant dans ce que vous hasarderez, que vous connaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine et infinie, et que vous n'avez rien donné pour l'obtenir.

Blaise Pascal, Pensées, pensée n° 54 Édition 1671

Pariez que Dieu est (extrait long)

Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont fait un choix ; car vous ne savez pas s'ils ont tort, et s'ils ont mal choisi. Non, direz vous ; mais je les blâmerai d'avoir fait non ce choix, mais un choix : et celui qui prend croix [NDLR : face], et celui qui prend pile ont tous deux tort : le juste est de ne point parier.

Oui ; mais il faut parier ; cela n'est pas volontaire ; vous êtes embarqué ; et ne parier point que Dieu est, c'est parier qu'il n'est pas. Lequel prendrez vous donc ? Pesons le gain et la perte en prenant le parti de croire que Dieu est. Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Pariez donc qu'il est sans hésiter. Oui il faut gager. Mais je gage peut-être trop. Voyons : puisqu'il y a pareil hasard de gain et de perte, quand vous n'auriez que deux vies à gagner pour une, vous pourriez encore gager. Et s'il y en avait dix à gagner, vous seriez bien imprudent de ne pas hasarder votre vie pour en gagner dix à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a ici une infinité de vies infiniment heureuses à gagner avec pareil hasard de perte et de gain ; et ce que vous jouer est si peu de chose, et de si peu de durée, qu'il y a de la folie à le ménager en cette occasion.

Car il ne sert de rien de dire qu'il est incertain si on gagnera, et qu'il est certain qu'on hasarde ; et que l'infinie distance qui est entre la certitude de ce qu'on expose et l'incertitude de ce que l'on gagnera égale le bien fini qu'on expose certainement à l'infini qui est incertain. Cela n'est pas ainsi : tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude ; et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement le fini, sans pécher contre la raison. [...] L'incertitude de gagner est proportionnée à la certitude de ce qu'on hasarde selon la proportion des hasards de gain et de perte : et de là vient que, s'il y a autant de hasards d'un côté que de l'autre, le parti est à jouer égal contre égal [...]. Et ainsi notre proposition est dans une force infinie, quand il n'y a que le fini à hasarder à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l'infini à gagner. Cela est démonstratif, et si les hommes sont capables de quelques vérités ils le doivent être de celle là.

Je le confesse, je l'avoue. mais encore n'y aurait-il point de moyen de voir un peu plus clair ? Oui, par le moyen de l'Écriture, et par toutes les autres preuves de la Religion qui sont infinies.

Ceux qui espèrent leur salut, direz vous, sont heureux en cela. Mais ils ont pour contrepoids la crainte de l'enfer.

Mais qui a plus sujet de craindre l'enfer : celui qui est dans l'ignorance s'il y a un enfer, et dans la certitude de la damnation s'il y en a ; ou celui qui est dans une certaine persuasion qu'il y a un enfer, et dans l'espérance d'être sauvé s'il est ? [...]

Quel mal vous arrivera-t-il en prenant ce parti ? Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, sincère, véritable. A la vérité vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices. Mais n'en aurez vous point d'autre ? Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie ; et qu'à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude du gain, et tant de néant dans ce que vous hasarderez, que vous connaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine et infinie, et que vous n'avez rien donné pour l'obtenir.

Blaise Pascal, Pensées, pensée n° 54 Édition 1671